Un plongeon pour le Vanuatu
En quittant l’Australie pour le Vanuatu nous savions déjà qu’une aventure hors du commun nous attendait, mais nous n’imaginions pas encore à quel point. Arrivés à Port-Vila la capitale peu avant minuit nous devions encore attendre le petit matin pour nous envoler vers Espiritu-Santo une autre île de l’archipel.
Peu entrain à payer une nuit d’hôtel pour quelques heures nous décidons de rester rôder autour de l’aéroport. Nous ne tardons pas à sympathiser avec un groupe de jeunes locaux qui nous invitent à s’asseoir avec eux. C’est le groupe de musiciens traditionnels qui est engagé par l’aéroport pour accueillir les voyageurs. La musique et les discussions sur le Vanuatu nous font tenir jusqu’au petit matin qui correspond à l’ouverture de l’aéroport. Le voyage était lancé. Après avoir pesé les bagages et les passagers le verdict tombe nous sommes trop lourds…
C’est donc à bord d’un deuxième petit avion que nous embarquons tranquillement. À peine dix dans ce petit « Coucou », l’esprit d’aventure est à fond.
Nous voilà prêts à découvrir Espiritu-Santo, une des plus belles îles de l’archipel. Marqués par la fatigue, la chaleur étouffante et le manque de repères culinaires nous profitons du cadre idéal de notre Guest House pour reprendre tranquillement nos marques.
Puis, rapidement nous faisons de belles rencontres en nous baladant autour de Luganville la seule « ville » de l’île. Le Vanuatu présente la particularité d’avoir été la seule colonie au monde à avoir été gérée conjointement par deux puissances, la France et l’Angleterre de 1904 à 1980. Ce Condominium Franco-Britannique explique le fait qu’aujourd’hui encore une partie de la population parle français.
À la découverte de la Coutume
Attirés par des femmes qui font cuire des fruits nous nous approchons d’une cabane près de la route. Chef Pierre vient à notre rencontre pour nous présenter une figure locale, chef Jean-Paul.
La soixantaine, chef Jean-Paul est le descendant d’un français venu en Nouvelle-Calédonie il y a 150 ans. Imprégné de la culture NiVan par sa mère et par son père qui a adopté la « coutume », chef Jean-Paul est un fervent défenseur des traditions NiVans.
C’est donc le parfait interlocuteur pour appréhender ce monde encore inconnu à nos yeux. L’introduction à la culture NiVan commence comme il se doit par un shell de Kava, c’est à dire une louche de kava servi dans une demi noix de coco. Mais le Kava c’est quoi? Le kava c’est une boisson traditionnelle du Vanuatu concoctée avec la racine d’une plante, le Poivrier Sauvage. Utilisé depuis au moins deux milles ans dans la vie religieuse, politique ou culturelle, pour ses vertus anesthésiantes et relaxantes, son utilisation s’est répandue à l’ensemble de la société depuis une trentaine d’années.
On dit même que son développement aurait été impulsé par les politiques de l’époque au moment de l’indépendance du pays, pour remplacer la consommation de Whisky par celle du Kava histoire de calmer les esprits. Et en effet après quelques shells, une fois passé le goût carrément désagréable du kava, nous commençons à sentir ses effets relaxants. Assis ensembles nos discussions passionnantes sur le Vanuatu sont rythmées toutes les demi-heures par la fameuse phrase : « Bon on va aller prendre le Kava ? ». La prise du Kava est à chaque fois une petite cérémonie codifiée.
Postés debout en demi cercle chacun à notre tour nous prenons notre shell puis chef Jean-Paul fait un petit discours. Avec un ton très solennel Jean-Paul évoque notre rencontre et nous souhaite la bienvenue au Vanuatu, puis c’est à notre tour de nous exprimer. Le kava est systématiquement dédiée « Aux anciens », c’est-à-dire à tous les anciens chefs du Vanuatu garants de la Coutume. « Aux anciens », c’est la phrase qui précède chaque prise de kava avec Jean-Paul, autant dire qu’une fois ces deux mots prononcés aucune marche arrière n’est possible il faut boire d’une traite ce breuvage au goût si particulier que même les locaux s’accordent à considérer comme dégoûtant.
Chef Pierre nous fait déguster les fameux fruits à pain que les femmes faisaient cuire dans le feu puis nous offre toute sorte de mets locaux que les femmes viennent vendre sur le marché traditionnel dont il est le directeur. La soirée se termine par une invitation, celle de chef Jean-Paul qui tient à nous convier le lendemain à une cérémonie dans le Nakamal qu’il a construit chez lui. Le Nakamal est le nom du lieu où l’on boit le Kava.
Fier de cette invitation nous retrouvons donc chef Jean Paul le lendemain derrière le Nakamal qu’il a construit, dans un lieu sacré autour d’un immense arbre très symbolique pour la culture NiVan. Témoin des changements récents que son pays est en train de vivre et de ces dérives, influence grandissante des puissances économiques voisines, Chine, Australie, Nouvelle-Zélande et Etats-Unis sur font de corruption de la classe politique locale, mais aussi déruralisation des campagnes au profit des villes et les changements radicaux de mode de vie qui l’accompagne, Chef Jean Paul se bat pour que le Vanuatu se développe sans compromettre ses racines et sa coutume.
Nous assistons à la cérémonie avec Chef Pierre qui nous a rejoint. Jean-Paul allume le feu puis nous tend une racine de kava que nous allons mâchouiller. Jean Paul frappe avec un morceau de bois un énorme totem sculpté planté devant l’arbre. Le totem creux résonne très fortement nous plongeant immédiatement dans une ambiance mystique captivante. Jean-Paul parle aux anciens, il leur explique notre venu et leur demande de nous aider tout au long de notre voyage à trouver ce que l’on était venu chercher à savoir, sortir de notre statut de touriste pour vivre avec les NiVans et comprendre au mieux leurs cultures.
À la fois ravis et impressionnés de l’honneur qui nous est fait nous sommes également invités à partager quelques paroles avec les anciens. Chacun fait son petit discours de manière très solennelle puis nous avalons le jus de kava issue des racines machouillées et crachons le reste pendant que Jean-Paul frappe à nouveau le totem sacré pour clôturer la cérémonie. Nous poursuivons la journée et la soirée par de nombreux kavas partagés avec la petite équipe. Très fiers d’avoir été conviés à de tels moments nous étions ravis de la tournure que prenait le séjour car dans le même temps nous commencions à sympathiser avec Josianne et sa fille Doris chez qui nous logions en Guest House.
Des hôtes de choix
Après nous avoir régulièrement ramené des fruits du marché puis invité à partager un Lap lap, repas traditionnel avec la famille,
Doris et sa mère décident de nous réserver une petite surprise pour le lendemain après-midi en nous emmenant au Blue Hole, une des merveilles du Vanuatu. Mais Dimanche oblige, c’est à la messe que nous commençons la journée le lendemain, sur invitation de la famille. Nous acceptons persuadés que l’expérience est à vivre d’autant plus que cela sera la première fois que nous assistons à une messe.
Mes connaissances plus qu’approximatives en terme de religion ne tarderont pas à éclater au grand jour lorsque par excès de zèle j’ose confondre Jésus et Sainte-Thérèse sur la statue qui se dresse en face de l’église. La cérémonie commence et déjà beaucoup de choses contrastent avec l’image que j’ai de ces lieux en France. L’intérieur de l’église est blanc et très lumineux, les murs sur les côtés comportent de larges ouvertures tous les 50 cm pour aérer et faire rentrer la lumière, les robes colorées des femmes et les chants interprétés avec vigueur par toute l’assemblée apporte à la cérémonie une vitalité impressionnante.
La messe achevée c’est en début d’après midi que nous embarquons pour Ri Ri Blue Hole à 20 km de notre Guest-House. Célèbres pour leur incroyable couleur bleue ces grands trous d’eau douce sont l’une des fiertés de l’île. En nous approchant nous nous régalons déjà de la magnifique couleur de l’eau douce qui se jette dans le mer.
Nous finissons le chemin à pied. La couleur de l’eau est irréelle et donne au lieu un caractère magique.
Après quelques minutes d’observations nous n’avons qu’une envie nous y baigner ! Entre les masques et tubas et la corde, l’après-midi est un vrai régal.
Doris en profite pour nous présenter ses amis durant la semaine. Les soirées barbecues dans le jardin s’enchainent. Nous sommes tellement bien à Luganville que nous décidons d’y rester quelques jours encore. Nous en profitons pour aller d’avantage dans les terres et rencontrer les habitants de Fanafo un village traditionnel.
Nous participons également à la cérémonie organisée pour la fête des mères durant laquelle chaque île de l’archipel vient présenter ses danses et ses chants.
Une après-midi Doris décide de nous faire visiter les locaux de l’association des jeunes de Luganville. Ce lieu très apprécié de la jeunesse locale propose de nombreuses activités du Hip Hop au Théâtre en passant par la Couture et la Musique. L’espace abrite également un petit dispensaire à la fois lieu d’écoute et de soins. Le tour du propriétaire est l’occasion de rencontrer chacun des acteurs de l’association, puis instinctivement nous sommes attirés par la musique qui vient du petit bâtiment en face de nous.
Une fois entrés, nous découvrons un groupe de jeunes musiciens locaux particulièrement doués. Grâce aux dons de certains pays voisins et aux aides de l’Etat Vanuatais l’association a pu s’équiper en instruments de musique et amplis pour le plus grand plaisir des jeunes de Luganville. Ici, c’est le Reggae qui inspire les musiciens. Une douce atmosphère de Jamaïque s’installe dans la pièce. Impressionné par leur sens de l’improvisation et leur excellente oreille musicale je ne résiste pas à l’envie d’aller jouer avec eux. Cette rencontre aussi soudaine qu’imprévue restera un souvenir très fort.
Musique à Luganville from lény gourven on Vimeo.
Il était maintenant temps pour nous de quitter Luganville pour une destination un peu plus exotique. Direction Port-Olry un village de pêcheur à l’extrême nord de l’île.
Port-Olry, une semaine au paradis
Nous prenons soin de laisser dans la Guest House où nous avions logé, nos affaires les plus encombrantes pour ne garder que le strict nécessaire. Une fois en ville nous négocions avec deux habitants de Port-Olry qui viennent à Luganville tous les jours pour approvisionner le village de nous ramener avec eux en soirée pour un prix raisonnable. Une heure de voiture suffit à nous faire traverser l’île et nous voilà à l’entrée du village.
Nous descendons sans trop savoir où aller. Il y a bien deux ou trois petits bungalows en bois disponibles pour les touristes que le chauffeur nous a indiqué à l’écart du village mais cela ne nous dit trop rien. Nous sommes venu chercher davantage d’authenticité. Notre tente et nos deux sacs sur le dos nous avançons au cœur du village à la recherche de l’endroit idéal pour bivouaquer. Le village est au bord de la mer et suit la courbe de la plage. Le cadre est d’une beauté incroyable et nous avons en prime le charme d’un village de pêcheur traditionnel. Pendant que nous marchons sur le sable nous croisons deux pêcheurs qui mettent à l’eau leur pirogue avant de s’en aller pêcher autour du récif de corail.
Soucieux de respecter les codes locaux nous attendons le retour d’un des chefs du village pour lui demander où nous pouvons installer notre tente. Le chef en question s’appelle Tarcisius. Il vient nous accueillir après son retour de la ville. Très gentil, il propose qu’on s’installe en face de son habitation, c’est-à-dire en plein centre du village le plus près possible de l’eau.
À peine le temps de nous installer et la nuit tombe soudainement. Nous ne tardons pas à aller dormir. La vue de la tente au petit matin est sublime.
Nous vivons au rythme du village, l’atmosphère y est paisible et agréable. Il n’est pas rare en effet de se réveiller avec le bruit de la mer et des enfants qui s’amusent avant d’aller à l’école.
La journée commence par une petite ballade pour admirer le cadre,
puis la couleur de l’eau et sa température indécente finissent de nous convaincre qu’il est temps d’aller chercher masque et tuba pour une session de plongée. Nous avions acheté le matériel de plongée en Australie la veille du départ pour le Vanuatu et ne pouvions rêver meilleur spot pour en profiter. Le soleil est écrasant, nous sommes mieux dans l’eau. Direction l’îlot en face du village qui est entouré de coraux. Les fonts sont superbes. Je m’amuse à observer les poissons clowns et leurs interactions avec les anémones de mer. C’est un peu dans la peau de Robinson Crusoe que nous posons le pied sur la petite île en face du village.
Nous traversons l’île puis profitons à nouveau des coraux de l’autre côté. Les heures passent et nous ne nous rendons pas compte que derrière l’illusion de fraicheur que provoquait la mer le soleil lui ne se privait pas pour nous bruler copieusement la peau. C’est au cours de la soirée que nous observons progressivement l’ampleur du massacre. Il va sans dire que le programme des jours à venir allait être quelque peu aménagé pour les deux crustacés que nous étions devenus.
Retour à l’école
Le lendemain le soleil devenant vite un calvaire pour nous la plage et la plongée étaient mises en stand-by au profit d’une ballade dans le village à la recherche d’un endroit accueillant. Nous grimpons la bute où se trouve l’église qui surplombe le village. En bas se trouve l’école primaire.
À oui avant toute chose, il faut que je vous parle un peu de l’histoire de Port-Olry car elle est particulièrement intéressante.
Les premiers à s’installer à cet endroit sont des missionnaires français venu évangéliser les populations locales en 1887. Sans doute pas tout à fait rassurés par les histoires de cannibalismes présentent dans la région ils s’installent dans un premier temps sur la petite île en face du village avant de rejoindre l’endroit où se trouve le village aujourd’hui. Progressivement quelques familles locales habitant les montagnes à l’arrière du village, sont séduites à l’idée d’offrir à leurs enfants une éducation via la paroisse. Des familles commencent alors à quitter les montagnes pour s’installer autour de la mission et être ainsi plus près de l’école. Le village de Port-Olry se développe alors peu à peu. La mission étant française l’éducation offerte aux jeunes du village a été et reste encore francophone aujourd’hui. Voilà pourquoi nous avons la chance de pouvoir parler français avec la plupart des habitants du village ce qui favorise grandement notre intégration.
C’est sous un soleil de plomb que nous poursuivons notre chemin de croix, à la recherche d’un abri vers l’école. C’est de l’ombre et de la fraicheur de la bibliothèque de l’école Sainte-Anne qu’est venu notre salut. La curiosité nous pousse en effet à franchir la porte ouverte de cette petite salle où bancs et livres semblent n’attendre que nous. Pris d’une passion surprise pour la lecture, on se délecte avec Maupassant et Sartre tout en découvrant Tolstoï et Céline. Les livres provenaient de dons fait de Nouvelle-Calédonie et composaient une riche collection pour le moins hétéroclite allant de la biographie de Patrick Bruel aux plus grands classiques de la littérature mondiale en passant par les meilleurs anecdotes de Gendarmes signées Christophe Dechavanne. Plongés dans nos lectures l’après-midi passe sans que nous ayons bougé un orteil.
Les rats de bibliothèque que nous étions devenus ne tardent pas à éveiller la curiosité des enseignants dont la salle de réunion se trouvait à côté de la notre. Cyriaque professeur de Mathématique et vice directeur de l’établissement est le premier à venir nous voir. nous avons peur de gêner mais c’est en fait eux qui ne veulent pas nous troubler dans notre lecture. Adorable, il nous félicite pour notre sérieux et nous souhaite la bienvenue.
C’est par hasard que le soir même nous recroisons Cyriaque alors que nous nous baladions dans le village sans lumière. Nous discutons et lui faisons part de notre envie d’assister à un cour au collège par curiosité. Bien décidé à poursuivre nos lectures nous nous donnons rendez-vous le lendemain à la bibliothèque. Fidèles au poste nous retrouvons nos ouvrages le jour suivant avant que Cyriaque ne nous invite à assister à son cour de Maths. Cyriaque nous présente alors à sa classe de 4ème en nous dressant un portrait très flatteur.
On se présente ensuite chacun à notre tour pour expliquer un peu notre parcours et ce qui nous a amené à venir ici. Cyriaque en remet une couche en nous présentant comme des modèles à suivre. Ce statut ne tardera pas à être écorné par un gros raté lors de la résolution d’une équation que Cyriaque m’avait gentiment demandé d’effectuer au tableau.
Il étouffa poliment l’histoire en un « vous voyez les enfants même les grands peuvent parfois se tromper ». Ça nous a bien fait rire. Je suis réquisitionné par Cyriaque pour la fin de la journée. Il faut créer des adresses mails pour l’école et tous les professeurs, régler quelques soucis de connexions et expliquer un peu comment se servir du nouvel outil.
En effet, Internet vient d’arriver il y a tout juste deux semaines et au prix où l’école paye son lien vers le monde il serait dommage de ne pas furieusement exploiter la bête. Ravi de participer à la vie de l’école nous attendons patiemment le retour de l’électricité. Situé trop loin de la ville, le village n’est pas raccordé au réseau électrique mais a trouvé une solution pour le moins novatrice pour palier ce problème.
Le village produit sa propre électricité grâce à des groupes électrogènes fonctionnant avec de l’huile de coco produit localement. Ce système permet au village de bénéficier d’électricité le matin de 7h à 9h et le soir de 18h à 21h environ. Ces horaires limités associés à la vitesse de connexion extrêmement lente rendent la tâche beaucoup plus longe que prévu et prolonge ainsi notre présence pour les jours à venir. Nous devenons peu à peu le service technique informatique de l’école.
Nous décidons de parfaire notre intégration en jouant aux élèves un peu de guitare à la récréation. Les jeunes et les professeurs nous entourent pour mieux nous écouter. Cyriaque en profite même pour montrer tout son talent à ses élèves ravis.
Pour le midi on est invité à manger chez Cyriaque. Il habite tout près de l’école. Touché par notre contribution à la vie de l’école il est au petit soin avec nous. Le repas partagé avec ses enfants est suivi de quelques morceaux de guitares dont celui-ci à propos du Vanuatu et du Kava que Cyriaque nous chante en Bislama la langue nationale.
Cyriaque chante le Vanuatu from lény gourven on Vimeo.
Cyriaque nous demande ce que nous voulons faire l’après-midi. Nous lui expliquons qu’un de nos rêves serait de faire de la pirogue dans le lagon. Port-Olry est le lieu idéal pour cela puisque c’est un village de pêcheur il compte un grand nombre de pirogues.
Découverte de la navigation en pirogue
À peine le temps d’évoquer le sujet que Bais, le fils du voisin, organise tout. Il est ravi à 10 ans à peine de nous faire découvrir la pirogue.
Nous embarquons tous les trois direction la grande île au large de Port-Olry où s’étaient installés les missionnaires à leur arrivée. La sensation de naviguer en pirogue est très agréable. Pas un bruit sinon celui de la rame sur l’eau. Sans forcer Bais nous fait avancer très rapidement jusqu’à l’île. Malgré son jeune âge il a toujours beaucoup de choses à raconter. C’est un guide de premier choix sur cette île à l’atmosphère mystérieuse.
On observe avec étonnement les modestes vestiges d’une ancienne église au milieu des cocotiers. L’île comporte également un très haut plateau de plusieurs centaines de mètres où la descendance des vaches amenées par les missionnaires vit toujours à l’état sauvage. Après une ballade près du Lac la nuit tombe et il est temps de rentrer.
Le lendemain matin, Bais vient à notre tente nous réveiller car il vient de récupérer une pirogue plus grande que la veille et nous propose de remonter la rivière. L’invitation est adorable et nous l’acceptons avec plaisir. Le neveu de Cyriaque se joint à nous. À bord de la grande pirogue nous remontons la rivière au nord du village. Le paysage change peu à peu et laisse place à la mangrove où les poissons abondent. Nous observons le mini trou bleu puis revenons en mer pour aller voir de plus près les restes d’une vieille épave échouée sur les coraux. Peu avant d’arriver à l’épave nous apercevons une grosse tortue. Seuls quelques grandes structures en fers rivetés restent du navire. On prête à nos deux jeunes collègues masques et tubas qu’ils essayent pour la première fois. Ils sont ravis. L’orage arrive et nous nous dépêchons de regagner le village. La pirogue est de plus en plus secouée par les vagues et l’équipage semble un peu trop lourd pour elle. C’est au moment où je fais une blague de mauvais goût sur Guy Carlier que l’embarcation chavire lamentablement. Fou rire garanti. Nous décidons de rentrer à la nage pour délester la pirogue en souffrance.
Arrivés à bon port nous nous hâtons de prendre part à un événement qui avait mobilisé une bonne partie du village tout au long de la semaine. Retour donc sur cet événement particulier où nous étions conviés.
Les cents jours
Rien à voir avec Napoléon, cette fête marquait les 100 jours du décès de la mère des chefs du village. Tarcisius l’un des fils organisait l’événement qui devait réunir une grande partie du village autour d’un Lap Lap. Dès notre arrivée Tarcisius avait tenu à nous inviter à la fête le dimanche. Touchés par l’invitation nous décidons de prolonger notre séjour pour y assister.
Notre camp de base placé idéalement nous avons la chance de suivre au jour le jour les préparatifs de la fête. Ce sont les cochons qui ouvrent le bal en se positionnant autour de notre tente un matin. Ils sont trois à êtres attachés aux arbres et on devine assez vite que la fin de semaine ne sera pas aussi agréable pour tout le monde.
Puis les hommes et les femmes du village se relaient pour fendre les bûches de bois et préparer le feu. Le mode de cuisson est très intéressant, un rond est creusé dans le sol dans lequel sont placés les morceaux de bois. Ils sont brûlés puis les pierres rondes sont disposées au dessus.
Les morceaux de viandes et les légumes sont ensuite entourés dans des feuilles de bananiers avant d’être placés sur les pierres brûlantes. Le samedi matin les veaux sont découpés autour de notre tente à une vitesse impressionnante.
Accrochés aux arbres les morceaux de viandes rendent fous les chiens du village qui ramassent à l’occasion quelques coups de bâton lorsqu’ils tentent une approche trop grossière. Le dimanche c’est au tour des cochons. Nous assistons à la scène impressionnante de la mise à mort. Pour les petits cochons piégés dans la forêt aux abords du village un coup de masse suffit mais c’est bien le plus gros d’entre eux qui pose souci. Celui-ci est spécialement venu de Malo une petite ile en face de Luganville réputée pour ses cochons. Énervé par le remue ménage autour de lui il est très nerveux. Cela rend particulièrement risquée une approche de dos avec la masse. En effet une charge de l’animal avec ses défenses très coupantes pourrait provoquer de sérieuses blessures aux jambes.
Pendant dix minutes la masse tendue en l’air des deux mains Nicholson attend le moment idéale pour asséner le coup fatal. Après deux tentatives ratées qui n’ont eu pour résultat que d’énerver un peu plus encore l’animal, la décision est prise d’aller chercher le fusil. Il faudra deux balles pour venir à bout de ce cochon sauvage à la résistance spectaculaire. Une fois saigné à la machette l’animal est lavé quelques mètres plus bas dans la mer qui prend localement des allures de Saint-Barthélémy au plus grand étonnement des rares touristes Australiens venus exceptionnellement se balader sur la plage. Les poils des cochons sont ensuite brûlés puis enlevés à la machette.
Le cochon est alors découpé d’une manière très particulière que Tarcisius nous invite à regarder attentivement. La manière occidentale consiste à découper l’animal de la tête en bas en formant deux demis cochons symétriques. La spécificité du village quant à elle est de découper la bête en deux au milieu laissant une partie avec l’avant puis une autre avec l’arrière de l’animal. L’art de la découpe est réservé à des spécialistes qui s’exécutent sous l’œil avisé des chefs du village. En effet la découpe parfaite de l’animal est une obligation en signe de respect envers la famille et les anciens. Tarcisius a insisté pour que nous mangions avec l’équipe qui préparait la cérémonie à chaque repas durant le week end. On se rend donc dans la hutte où les hommes du village se retrouvent, ils nous servent le repas dans une grande feuille de bananier.
Les doses de riz, choux et viandes sont monstrueuses. Je vous laisse imaginer la taille de la marmite avec la feuille de bananier à côté. Le repas est tout simplement divin.
La viande est délicieuse et le chou mariné savoureux. Les gens du village sont vraiment au petit soin avec nous. Le dimanche soir chaque repas est soigneusement enroulé dans une feuille de bananier pour le maintenir au chaud le temps de boire tous ensemble le kava préparé dans la journée. J’en profite pour sortir la guitare comme je l’avais promis à Nicholson.
Au Vanuatu les deux chanteurs français les plus populaires sont Mike Brant et Frédéric François. Ne connaissant ni de près ni de loin le répertoire de Frédéric je m’aventure du côté de chez Mr Brant. La seule chanson que je peux bricoler est « Qui saura ». La scène est géniale je me retrouve à chanter du Mike Brant accompagné par le chef du village et ses amis assis autour de moi.
Une fois la musique et le Kava terminés chacun retrouve son repas. Mais tout à coup stupeur, on découvre qu’on s’est fait tiré le notre par les chiens du village. Seul la feuille de bananier éventrée reste sur le sol. Nos amis encore une fois exemplaires, arrivent de justesse à nous trouver une part qui restait disponible. Les généreux morceaux de viande, les patates douces et le lait de coco sont un régal. C’est notre dernière soirée à Port-Olry et le séjour au Vanuatu touche également à sa fin. Nous passons la soirée avec nos amis de l’école.
Puis, non sans émotions nous leurs disons au revoir et les remercions pour leur formidable accueil. C’est le lendemain à l’aube que nous quittons le village. Puis quelques jours plus tard il est déjà temps de quitter le Vanuatu. Il nous faut quitter ce pays magnifique et ces gens si attachant. C’est pourtant l’esprit léger que nous partons car ce voyage nous a gâté bien au-delà de nos espérances.